« La société dans laquelle je vis me parait trop grise et superficielle, elle me déçoit assez souvent. »
Étudiant de 22 ans de la Grande école, Santorin Yu a fait un pas de côté pour trouvé dans l'écriture un moyen de renouer avec lui-même.
Santorin Yu n’a jamais été un grand lecteur de romans, mais il a toujours été sensible à la beauté des choses, en particulier à la beauté intellectuelle. C’est ce qui l’a conduit à étudier les mathématiques ou à développer un goût pour la poésie. Pourtant, dans l’univers compétitif des grandes écoles – d’ingénieurs d’abord, puis de commerce – il a senti sa sensibilité, son rapport à la création et à lui-même s'éroder peu à peu. En janvier 2025, l’Académie HEC sur l’écriture créative qu’il a suivie en en tant qu’étudiant en M1 de la Grande école, lui a offert une parenthèse pour se retrouver. En quête de sens pour sa carrière, il revient sur cette expérience pédagogique, qui, selon ses propres mots, pourrait "potentiellement changer ma vie sur le long terme.

Santorin Yu
Santorin Yu est un étudiant en M1 de la Grande école, français d’origine chinoise, qui a intégré HEC après un Bachelor en mathématiques et économie de l’Ecole Polytechnique, puis un semestre marquant en échange à UC Berkeley.
Intéressé par l’innovation et le capital-risque, ses projets professionnels sont encore incertains, mais une conviction l’anime : "construire une carrière qui ait un véritable sens pour moi".
Voici l’interview que nous avons réalisé de Santorin à l’issue de trois semaines intenses de l’académie écriture créative, dirigée par la romancière Alice Ferney.
Décrivez-nous votre rapport à la lecture, la littérature, le roman ?
Santorin: Honnêtement, je n’ai jamais été un grand lecteur de roman. J’ai toujours lu au moins les livres qu’il fallait lire dans le programme scolaire, mais je lisais pas beaucoup de romans dans mon temps libre. Par exemple, lorsque j’étais en école primaire, beaucoup de mes amis lisaient La Guerre des Clans, mais cela ne m’a jamais vraiment plu. Je préférais écrire mes propres textes. En revanche, je lisais beaucoup de bande dessinées. Avec du recul, je ne pense pas que je regrette avoir lu des BDs plutôt que des romans, car je pense que certaines BDs me marqueront à vie, tandis que je ne pense pas que j’aurais eu la maturité de véritablement comprendre l’essence de certains romans classiques à un si jeune âge.
Depuis quelques années maintenant, j’aime beaucoup la poésie, en français et en anglais.
Est-ce le goût de la lecture, l’envie de passer à l’acte de l’écriture ou bien la curiosité qui vous a amené à choisir cette académie ?
C’est plutôt un besoin de retrouver mon rapport à la beauté. J’ai constaté depuis mon plus jeune âge que je suis quelqu’un de plus sensible que la moyenne, surtout comparé aux gens de mon âge. Je sens depuis longtemps que la société (voire le monde ?) dans laquelle je vis me parait trop grise et superficielle par rapport à ce que j’ai besoin de ressentir, elle me déçoit assez souvent. Par exemple, l’absurdité est quelque chose qui m’affecte profondément, plus que ce que les autres pensent jugent être raisonnable. Je me sens parfois incompris, notamment, car le stéréotype de garçon asiatique qui fait des études dans une école d’ingénieurs n’est pas souvent associé à quelqu’un qui aime observer les fleurs pendant des heures.
Pour remédier à ce manque de couleur dans la vie de tous les jours, j’ai toujours eu besoin de ressentir des formes de beauté extérieures à la société. L’une des sources de beauté extérieure est une forme de beauté que j’ai pu découvrir dans le monde scolaire puis académique - la beauté intellectuelle. Je trouve qu’il y a une forme de pureté dans le monde des idées que l’on ne trouve pas souvent dans la vie de tous les jours. C’est pour cela que j’ai ressenti le plus cette beauté lorsque j’ai étudié les matières que je juge les plus pures: les mathématiques, la philosophie et la poésie.
J’ai eu la chance d’étudier les mathématiques pendant trois ans dans l’un des meilleurs programmes scientifiques du monde, donc j’ai pu être souvent exposé à leur beauté singulière - j’ai même écrit un poème mêlant l’algèbre et le romantisme. Cependant, être dans un programme qui inclut des étudiants tops 50, voire 30 de la planète et de nombreux étudiants ambitieux mène à un environnement compétitif. En tant que personne sensible dans ce genre d’environnement, j’ai du apprendre à réprimer mes émotions afin d’optimiser mes performances. Ces années ont été formidables sur beaucoup de domaines, mais j’ai perdu une partie de ma sensibilité, donc une partie de moi-même. De plus, je me suis rendu compte que la recherche en mathématiques n’était pas aussi séduisante qu’elle me semblait être (c’est pour cela que je suis à HEC). L’équilibre entre l’adaptation à la société et l’acceptation de mon identité par une forme de beauté est un peu secoué, même maintenant.
Mon semestre en Californie à Berkeley a été une parenthèse dorée dans mes études. Je n’ai jamais autant senti de beauté (autre que la beauté liée à ce que j’étudiais) que durant ce semestre. J’ai écrit au total 6 poèmes et les 6 ont été écrits à Berkeley. Je n’ai jamais été en mesure d’écrire un poème en entier à Paris, Palaiseau ou Jouy-en-Josas. Écrire des poèmes m’a rappelé mon enfance - j’avais l’illusion que je pouvais inventer mes propres couleurs, sans que je me préoccupe de ce qui est attendu de moi. J’ai choisi cette académie dans l’espoir de me redonner l’envie d’écrire et donc de soigner mon rapport à la beauté qui s’est affaibli depuis quelques années.
Que retenez-vous de ces trois semaines ? Avez-vous eu un déclic ?
J’ai surtout découvert le monde de l’écriture de romans d’un point de vue pratique. Je retiens beaucoup de conseils pratiques sur de nombreux sujets liés à l’écriture comme l’inspiration, l’édition, l’importance de la première phrase, etc. Les conseils de Cécile sont très intéressants et vont certainement m’aider par la suite.
Je n’ai pas eu un déclic à proprement parler, mais plutôt un apprentissage continu, car chaque séance traitait un sujet différent.
Comment pensez-vous mettre en pratique cette expérience, ces enseignements ?
Je compte me mettre dans de meilleures conditions pour écrire. Cela inclut trouver un bon environnement, un bon horaire, réfléchir lorsque je fais des tâches du quotidien, etc. L’un des enseignements les plus précieux donné par Cécile que j’ai retenu est qu’il faut noter ses idées à la main, sur un bloc note par exemple. Même si l’idée n’est pas bonne, cela impose une habitude à structurer ses idées et cela ne peut qu’être bénéfique pour la suite. Je compte lire plus de poèmes cette année et donc d’en écrire plus également.
Que diriez-vous à des étudiants HEC pour les convaincre de choisir cette académie ?
C’est une académie unique qui vous laisse digérer ce que l’on apprend en cours. Je suis convaincu que l’on apprend beaucoup sur soi-même lorsque l’on écrit et donc que l’académie est une opportunité de se détacher un peu de la vie un peu trop répétitive et de s’évader vers son propre monde. Je pense que l’on peut toujours apprendre des concepts de finance quand on veut lorsque l’on est étudiant à HEC, alors que je sens que cette académie d’écriture créative va potentiellement changer ma vie sur le long terme. Il y a beaucoup d’interaction avec Cécile, qui est très pédagogue et très humaine dans son approche, ce qui rendent les trois heures de cours par jour très courtes.
Que vous inspire cette citation :
"All great leaders are readers" que l'on prête au Président américain Harry S. Truman sous cette forme exacte “Not all readers are leaders, but all leaders are readers.”
Pas grand-chose, je trouve cette citation un peu superficielle. L’affirmation “Most political leaders are readers” serait plus prudente, mais elle sonne moins bien. À vrai dire, je ne suis pas un grand adepte de ce genre de citations d’hommes politiques. Je trouve qu’elles sonnent bien, mais qu’elles manquent de rigueur – il suffit d’un simple contre-exemple pour contrer la véracité de l’affirmation. Le terme de “leader” peut être très variable. Dans le sens plutôt politique, nombreux sont les “leaders” dans l’Histoire qui n’ont pas été de grands lecteurs, ou du moins de grands lecteurs de grandes œuvres. Dans le sens général, un “leader” n’a pas nécessairement besoin d’avoir beaucoup lu. Dans la société, on peut se voir approprier la cape de “leader” en parlant un peu plus fort ou avec un peu plus de confiance que les autres, pour le meilleur ou pour le pire.
Votre / vos romans préférés ?
Je n’ai pas lu énormément de romans, mais je dirais en anglais To Kill a Mockingbird de Harper Lee et en français j’ai beaucoup aimé Le Rouge et le Noir de Stendahl.
En poésie, j’apprécie en particulier en anglais les poèmes de Samuel Taylor Coleridge et en français ceux de Beaudelaire et de Rimbaud. Je pense qu’en réalité mon poète préféré est Novalis, mais mon niveau d’allemand n’est pas suffisamment élevé pour lire ses œuvres originales. J’avoue connaître très peu la poésie et la littérature chinoise et je compte en apprendre beaucoup plus lors des prochaines années.
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