Aller au contenu principal
L'école

"L’écriture est à la portée de ceux qui la pratiquent le plus régulièrement possible", Alice Ferney

"L’écriture est à la portée de ceux qui la pratiquent le plus régulièrement possible", Alice Ferney

Romancière et figure de la scène littéraire française, Cécile Gavriloff alias Alice Ferney, dirige depuis 15 ans à HEC un cours sur l'écriture créative pour les étudiants en Master de la Grande école. Elle nous explique dans cette interview, comment elle cherche à mettre l’écriture à portée de tous, à « encadrer cette liberté » tout en soulignant l’exigence de l’activité d’écrivain. Avec la passion du partage et de l’enseignement, elle livre ce qu’elle apprend aux contact des jeunes. Si cette génération est sans doute plus tournée vers les écrans que la littérature, le cours d’Alice Ferney a d’ores et déjà déclenché de belles vocations chez certains étudiants et chez tous, ravivé le goût de la lecture.

Académie HEC - programme Grande école Master - Cours sur l'écriture créative, sur le campus d'HEC par la romancière Alice Ferney

Alice Ferney en cours avec les étudiants de la Grande école de l'académie HEC 2025 "Ecriture créative"

Maud Ventura, auteure d'un premier roman remarqué (Mon mari) à l'âge de 28 ans est l'une des nombreux étudiants à avoir suivi l'académie d'Alice Ferney sur l'écriture créative depuis sa première édition en 2010. Ce cours propose aux étudiants de faire l’expérience de l’écriture, celle du pouvoir évocatoire des mots, et l’expérience de l’invention. "Nous aurions aussi pu l'appeler "Ecrire, lire et en parler", nous dit Alice Ferney lors de notre rencontre le 14 janvier 2025, en plein cœur de ces trois semaines de cours qui ont lancé l'année d'une vingtaine d'étudiants en M1 de la Grande école - Master in Management. 

Comme pour chaque cours, Alice Ferney arrive avec un sac rempli de romans qu’elle met en évidence sur les tables et qui seront discutés avec les étudiants. Alice Ferney est elle-même l'auteure de treize romans (publiés aux éditions Actes Sud), dont son dernier en 2023, Deux innocents, qui a reçu le prix Europe 1 – GMF 2023, ou encore La Conversation amoureuse grand succès en librairie, traduit dans 13 langues, ou L’Élégance des veuves, adapté au cinéma sous le titre Éternité par Tran Anh Hung.

HEC: Qu’est-ce que l’écriture créative ? 

Alice Ferney: Il s’agit de l’écriture de fiction, celle où l’on invente en même temps qu’on écrit (à l’inverse de celle où l’on écrit ce qu’on pensait déjà avant de l’avoir écrit), celle des romanciers.

L’écriture créative est-elle à la portée de tout le monde ? Tout le monde peut-il devenir écrivain ? S’agit-il d’acquérir des compétences spécifiques ou lever des freins psychologiques ? 

L’écriture est à la portée de ceux qui la pratiquent le plus régulièrement possible. Deviennent écrivains ceux qui le veulent assez violemment pour travailler autant qu’il le faudra, ceux qui ne peuvent pas faire autrement. Disons que le travail est à la portée de tout le monde. Le cours démystifie l’écriture, met en lumière la quantité et la nature de ce travail. Il fait sentir la mécanique des mots, la manière dont un texte croît, le temps qu’il faut, les questions à résoudre. Il donne une méthode pour commencer et ne pas s’arrêter. Il apprend qu’écrire c’est beaucoup corriger, il apprend à corriger un texte. 

Pourquoi apprendre l’écriture créative à des étudiants en école de commerce ? 

Dans chaque promotion, il existe des étudiants qui souhaitent écrire et HEC a déjà produit des auteurs (Florence Noiville en est un exemple, plus récemment Charlie Roquin et Maud Ventura, Tania Sanchez en philosophie). Des écrivains aussi célèbres qu’Alain Damasio ou Philippe Sollers ont fait des écoles de commerce. Cela prouve une ouverture et un éclectisme de ces formations.  Et puis, que sait-on de sa vie ? Elle n’est pas toute entière déterminée par les études supérieures ou autres. N’importe qui peut avoir, à un moment de son existence, le besoin ou le désir d’écrire un livre. Savoir comment s’y prendre est utile.

Pouvez-vous nous parler brièvement de votre pédagogie dans le cadre de cette académie ? 

J’essaie, à travers un récit, des exemples, des exercices, de faire ressentir le plus concrètement possible comment se déroule l’écriture d’un livre. Je ne donne pas de recettes ou de consignes sur le contenu d’un roman, je souhaite plutôt « encadrer la liberté ». On écrit ce qu’on veut, la forme d’un livre est libre, mais le travail requiert quelques exigences : la persévérance, l’endurance, le courage, la curiosité, la culture, la continuité. Pour écrire, en particulier, il faut lire ! Nous parlons beaucoup des livres des autres, les classiques bien sûr mais aussi les auteurs de l’extrême contemporain. 

En commentant votre roman « Deux innocents » (Actes Sud, 2023), vous avec déclaré que l’art du romancier, c’est l’empathie . Peut-on rapprocher cet art de celui du leader empathique et dans sa capacité à faire preuve d’intelligence émotionnelle ? 

Rien n’interdit de le faire ! Cependant je crois que l’empathie des grands romanciers dans le temps de l’écriture est quasi magique, inatteignable dans la réalité. C’est la lenteur et l’acharnement à comprendre et se représenter une situation, une émotion, un acte, qui font de l’écriture un extraordinaire outil, une loupe, un couteau pour creuser les motifs. J’ajouterai que le romancier ne commande personne, ne fait travailler personne ! 

Toujours à propos de votre roman Deux innocents, vous dîtes que "celui qui enseigne, c’est celui qui apprend le plus". Qu’apprenez vous au contact des étudiants HEC dans le cadre de cette académie que vous dirigiez depuis 16 ans ?

Je le crois profondément. Celui qui enseigne apprend ce qui peut se transmettre, ce qu’on donne à condition d’ouvrir les portes. Il apprend que l’on peut déplaire et que c’est désagréable et vexant, qu’il faut se donner du mal pour les autres et comment les convaincre… Il apprend que la joie de la connaissance est une puissance pour partager. Plus spécifiquement ici, j’apprends chaque année la fragilité de la jeunesse en même temps que son énergie et sa force. J’apprends les questions qu’elle se pose, sa façon d’envisager le futur, la société qu’elle espère. Plus près de la littérature, j’apprends ses thèmes, son vocabulaire, ses nouvelles manières de parler. Je redécouvre la relation d’enseignement, l’échange, la familiarité qui grandit, le plaisir d’évoquer sa passion. 

Académie HEC - programme Grande école Master - Cours sur l'écriture créative, sur le campus d'HEC par la romancière Alice Ferney. Avant d'apprendre à écrire, les étudiants apprennent à lire!

Avez-vous noté une évolution dans l’engouement que cette académie suscite dans la façon dont les étudiants reçoivent votre enseignement ou leurs attentes ? 

Pas spécialement, il y a toujours des fervents, des observateurs, des curieux, et ceux qui accrochent moins (qui sont là parce qu’ils n’ont pas eu l’académie finance !). Ce qui a peut-être évolué c’est mon cours, j’espère qu’il se densifie et s’améliore d’année en année, je m’y emploie et je remarque que ces deux dernières années, les étudiants étaient très actifs et intéressés. 

Peut-on parler d’une désaffection des jeunes pour la lecture ou la littérature ? Si oui, avec quelles incidences ? 

Je crains que par le seul effet de la contrainte de temps, la lecture et la littérature pâtissent de l’usage permanent des téléphones portables et des ordinateurs. L’image est en train de vaincre le texte. Si on en juge par les préventions des experts (voir Michel Desmurget), cela a une incidence. Moins de mots, moins de syntaxe, n’est-ce pas forcément une pensée qui s’impuissante, une expression qui perd des espaces ? 

Quel serait votre message à tous les étudiants qui n’ont pas suivis votre académie quant à la littérature et l’écriture ? 

Lisez ! Allez au cinéma, au théâtre, au musée, au concert… Restez curieux des créations contemporaines.