Colère, polarisation, mise en scène, réseaux sociaux : Yann Algan analyse les transformations de l’Assemblée nationale.
Colère, polarisation, mise en scène, réseaux sociaux : Yann Algan analyse les transformations de l’Assemblée nationale.La France est-elle devenue ingouvernable ? Comment construire une culture du compromis ? Depuis la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin 2024 puis le vote de la motion de censure et la démission du gouvernement Barnier le 4 décembre 2024, ces questions sont au centre du débat. Yann Algan, professeur en économie et sciences de la décision à HEC Paris et doyen associé des programmes pré-expérience publie avec Thomas Renault (université Paris-I-Panthéon-Sorbonne) et Hugo Subtil (université de Zurich) une étude inédite qui explique les métamorphoses de l’Assemblée nationale en assemblée spectacle, au détriment du débat rationnel (La Fièvre parlementaire : ce monde où l’on catche, Observatoire du bien-être du Cepremap,n°2025-01, 13 janvier 2025). Ils révèlent comment les députés s’adressent davantage à leurs followers qu’aux autres députés, avec tous les effets pervers des réseaux sociaux sur la polarisation des débats et la violence politique.

Une Assemblée-spectacle sous l'influence des réseaux sociaux
L’analyse, basée sur deux millions de discours parlementaires, montre que l’Assemblée s’est transformée en une véritable scène de spectacle. Depuis 2017, et encore plus depuis 2022, les discours sont devenus plus courts, plus émotionnels et souvent destinés à être partagés sur les réseaux sociaux. Ce phénomène, qualifié par Algan de "désinstitutionnalisation", reflète un passage du débat argumenté à une stratégie d’expression tournée vers les followers. "Tout se passe comme si les codes des réseaux sociaux, avaient contaminé le coeur même de la démocratie représentative, avec une génération plus jeune de députés TikToker".
Comme le souligne Yann Algan dans son intervention ce matin sur France Inter, "les députés ne débattent plus entre eux, mais cherchent avant tout à captiver leur audience numérique". Il rappelle dans son étude en quoi cela constitue une véritable rupture dans notre culture politique et démocratique : "La démocratie parlementaire est à la fois un mode de gouvernement et un art de vivre ensemble. Toute l’histoire de la démocratie représentative a consisté en une longue lutte pour sublimer les conflits légitimes entre citoyens dans un champ programmatique et raisonné, grâce à des intermédiaires institutionnels tels que les partis et les élus au Parlement."
Une montée inquiétante de la polarisation et de la colère
L'étude met en évidence une polarisation croissante et une explosion des émotions dans les discours, avec une prédominance marquée de la colère. Celle-ci représente 75 % des émotions exprimées par certains groupes politiques. La polarisation a été multipliée par six au cours de la période, avec une hausse brutale lors des deux dernières législatures de 2017-2022 et 2022-2024.
Selon Yann Algan et ses co-auteurs d’une part cette colère est le plus souvent "surjouée", d’autre part elle "appauvrit l’argumentation des députés".
Yann Algan et ses co-auteurs concluent que l'Assemblée nationale est devenue un "monde où l’on catche", où l’objectif n’est plus de convaincre rationnellement mais de capter l’attention par des gestes et des mots spectaculaires. Un constat inquiétant alors que la capacité des députés à élaborer des compromis s'avère décisive pour gouverner le pays dans le contexte de crise politique ouverte suite aux élections européennes de juin 2024.
Méthodologie
Cette étude se base sur la collecte de 1,9 millions discours et autres interventions orales, prononcés
par 1 622 députés issus de 29 partis politiques, répartis entre les questions au gouvernement et les débats sur les lois, entre juillet 2007 et juin 2024.
Pour approfondir
Découvrez l’intégralité de cette analyse dans "La Fièvre parlementaire : ce monde où l’on catche !", Yann Algan, Thomas Renault, Hugo Subtil, Observatoire du bien-être du Cepremap, n°2025-01, 13 janvier 2025
Retrouvez également l’intervention de Yann Algan dans la matinale de France Inter du 13 janvier 2025 et l’article publié dans Le Monde: Yann Algan, économiste : « Nous sommes aujourd’hui confrontés à une “Assemblée spectacle”